Voyage au centre de sa dépression

Paris, juin 2021

Paris, juin 2021

Lundi 23 août

Nous partageons un ultime déjeuner avec mon ami de Thomery. Il fait revenir dans une sauce relevée coréenne divers légumes que nous mangeons avec un riz blanc, le repas est simple et délicieux, je l'en remercie abondamment. Après quelques photos du porte bagage avant monté sur mon vélo qu'il a réalisé sur mesure pour le voyage, nous quittons son val. Il m'accompagne sur les vingt premiers kilomètres pendant lesquels nous traversons la forêt de Fontainebleau jusqu'à sa sortie, nous embrassons en nous promettant de nous revoir bientôt et repartons chacun de notre côté. Ma route du jour est simple : rallier un petit village de la Beauce, entre Orléans et Paris où m'attendent une amie et sa famille. Rapidement, les bois laissent la place aux larges champs de l'Essonne. Les villages que je traverse sont minuscules et rares, autant que les automobilistes. Si nous avions pris la route sous la pluie malgré la protection des feuillages, le ciel reste encore menaçant et de fines pluies percent de temps à autre. Je coupe à travers le département, laisse derrière moi les collines pour trouver après Mereville, ultime « relief » de la journée, le plat célèbre de la Beauce. À l'horizon s'étendent des cultures sans fin qu'annonçait l'entrée dans l'Essonne. Blés, orge, betteraves et maïs s'observent à perte de vue dans un paysage qui m'évoque à moi l'encéphalogramme d'un votant RN. Malgré cela, les arbres et abris se font rares entre les villages fermiers, et le vent trouve ici une belle cour de recréation pour souffler sur les petits cyclistes. Après Angerville que je laisse derrière moi, seul point à des kilomètres à la ronde qui centralise en son supermarché toutes les services habituels d'une ville, je boucle les huit derniers kilomètres jusqu'à la ferme où je pose mes valises pour les jours à venir. 



Mardi 24 août

3h30. Quelqu'un toque.

Il faut y aller, c'est l'heure.

Je ferme un œil, puis l'autre. Ce n'est pas un rêve pourtant, il faut que je me lève.

J'enfile mon short sale (pas lavé depuis les éclaboussures de béton du 77) et ma polaire, je monte dans un berlingo avec les filles (mon amie, sa sœur et sa mère, cheffe de l'exploitation) et nous filons dans la nuit jusqu'à la mare. Là, 4000 poulets nous attendent dans l'obscurité, persuadés que le noir et la nuit leur apporteront conseil et invincibilité. Dans une odeur chaude de fiante, de paille et de pisse s'élancent pourtant neuf attrapeurs, saisissant sans distinction six poules par la patte et les enfournant dans des casiers par paquets de douze. Les hommes sont expérimentés. Ils pestent contre les bestiaux qui couinent, gueulent et battent des ailes. Pourtant aucune supplique ne les sauvera, car dans moins d'une heure le poulailler sera vidé et au lever du soleil, sûrement, les bêtes seront saignées. Voilà le destin des poulets de plein air label rouge en cette nuit. Dans une sorte de vacarme où tout se bouscule, attrapeurs, volailles courant au sol ou se nichant les unes dans les autres, l'esprit s'engourdit, se concentre sur sa tâche : attraper des pattes, encore et encore. Une, deux, trois à gauche, cinq, et six ? Le compte y est ? Je crois bien, j'y vois rien. Quand enfin nous rentrons, je n'ai effectué qu'une paire de photos, leur odeur me colle à la peau et je me couche en regardant ce ciel qui brille où chaque étoile peut être une de ces bêtes que j'ai mené à son destin tragique.

Vers midi, nous nous retrouvons pour aller déjeuner chez les grand-parents de cette amie à quelques rues de là. Nous préparons à manger ensemble et je goûte à la gnôle locale, préparée dans les caves par le papy. Ici, tout est fait maison, même l'alcool, avec les fruits des environs. Nous visitons ensuite le village et profitons du retour de la petite sœur le lendemain pour le Canada pour échanger autour d'une partie de cartes quelques verres de gin.

DSCF9384.JPG

Mercredi 25 août

J'accompagne mon amie et sa sœur sur la route de l'aéroport de Roissy. Je dors tout le long de l'aller. Au retour, elle se sent dépossédée et abandonnée, pense à l'avenir et envisage plusieurs possibilités. À peine rentrés, un appel de sa sœur nous prévient que celle-ci s'est faite refusée par la douane canadienne de Roissy, il lui manquait un tampon sur un papier, elle prend le chemin de l'ambassade à Paris tandis que nous rejoignons leur mère dans les champs afin de l'aider à déchaumer une parcelle de blé moissonné. Nous effectuons dans le tracteur de longs et lents aller-retours tous automatisés grâce au GPS incorporé, propices à la discussion dans sa petite cabine climatisée. Au soir nous retrouvons la sœur qui s'est vue éconduite à l'ambassade et qui va devoir se dépêtrer de la lenteur bureaucratique pour pouvoir rentrer chez elle avant le début de ses cours à l'université, cela semble mal engagé et dors et déjà coûteux. Mon amie et moi partons sans embûche camper dans un bois appartenant à la famille. J'y remarque que mon matelas gonflable est crevé. 



Jeudi 26 août

Dernière journée sur place et je pense déjà au soir, à la seconde session de vidage d'un nouveau poulailler où je me promets de faire plus de photos. Nous préparons à manger pour sa mère et sa sœur au midi, puis du dessert pour l'habituelle réunion post-attrapage où chacun parle de la pluie et du beau temps (plutôt que l'acte repoussant auquel tous ont pris part) en éclusant son verre. L'après-midi passe rapidement en une ballade, une discussion avec des habitants et la cuisson d'un poulet rôti (je n'allais tout de même pas partir sans goûter la production locale pour laquelle je travaillais non?). La nuit tombe et nous rentrons les volailles qui ont passé aujourd'hui leur dernier après-midi en plein air dans leur hectare de verdure. Les attrapeurs arrivent et le même scénario reprend vie. Mes coups de flash intriguent ces hommes qui ne saisissent pas bien l'intérêt porté au sujet outre la polémique d'une éventuelle maltraitance animale dans ces techniques d'élevage, mais la besogne est rapidement terminée. En moins d'une heure encore, les neufs personnes ont vidé le bâtiment des 4000 poules et coqs (soit environ 444,4 bestioles de 2,4kg par bec de pipe et 74 aller-retours avec 6 bêtes affolées entre nos 2 mains vigoureuses et déterminées). La Beauce est une région hautement agricole. Le poulet orléanais y tient une bonne place à côté des cultures intensives (car les terres calcaires y sont riches et bonnes) mais après avoir passé ces trois jours en compagnie de cette mère de famille, cheffe d'exploitation, avoir discuté avec elle de ses conditions de travail, je me rends bien compte que la vie d'agriculteur n'a rien d'idyllique ni d'une sinécure, bien au contraire. Le métier est dangereux, les tâches sont fatigantes et répétitives, réparties tout au long de la journée et parfois jusque dans la nuit. Les corps ont du mal à suivre, l'activité est ingrate, rapporte peu ou rien que des dettes pour les petits et moyens exploitants outre des politiques européennes forcées ou des cancers développés à la suite de l'exposition à certains produits (engrais, herbicides, insecticides, difficile de faire l'impasse sur l'un d'eux en culture intensive). Certains possédants s'en sortent mieux, avec des dessous de table, des locations de terres ou services et des magouilles, mais le quotidien ne laisse finalement que peu de temps à ces hommes et à ces femmes pour autre chose que le labeur. Cela tombe bien car la campagne environnante est bien déserte. Le poste de télé s'allume avec le retour de notre travailleuse, je m'attèle avec mon amie à leur préparer à manger afin de lui faciliter la tâche autant se faire que peut. Et puis voilà déjà la nuit. Ce soir il n'y a plus de poules à aller coucher et demain matin plus de coq pour chanter. 

DSCF9395.JPG

Vendredi 27 août

Jusqu'à ce jour, je n'avais pas tant vu d'animaux outre la collection de ceux qui jonchent les bords de route en un ou plusieurs morceaux (à savoir hérissons, oiseaux de toute taille et race, renards, chats, rats ou plus rare du côté boisé de Fontainebleau, un sanglier). Ce vendredi ce sont deux chevreuils qui sortaient d'un champs de maïs, trois faisans et un cerf qui traversèrent à vingt mètres devant ma tente qui vinrent égayer ma fin de journée. Mais bien avant cela, j'ai donc commencé par rallier via les petites routes entre les champs la ville de Châteaudun. Jusqu'alors, je ne connaissais de ce nom que ce qu'elle m'évoque à Paris, une petite rue du 9ème arrondissement (de même que Vendôme, ville à 40km de là, n'était pour moi que la place du même nom) et après la pléiade de cultures qui s'est étalée sous mes yeux tandis que je naviguais par les chemins beaucerons, j'étais loin de penser tomber sur ce genre de ville : déchetterie au premier abord, secours populaire tout de suite après, centre de formation et pôle emploi dans la foulée. S'ensuivent des petits immeubles rabougris, de la maison clonée, séparés par du terrain vague où une table de ping-pong en béton fait face contre vents et marées. Je ne m'arrête pas à ce panorama navrant et me reprend en demandant la route du « centre » à deux gamins qui me l'indiquent car ici les panneaux ne parlent que de « centre commercial » vers lequel je répugne un peu à me diriger. Je déchante légèrement face à l'église style moderne, je me décompose tout à fait devant ce qui semble être la place centrale du lieu : une sorte de ring où les derniers commerces adverses se tiennent dans leurs cordes affrontant les clients du regard entre leurs boursoufflures, les autres ayant tous mis la clé sous la porte. À cela s'ajoute une fréquentation peu rassurante en guise de public et je m'enfourne un kebab rapide depuis un square branlant juste à côté, médusé par ce spectacle de fin de vie. C'est la fin de la ruralité ici me dis-je, et le début d'une vie citadine crépusculaire. Peu d'emploi, zéro attractivité, de l'ennui à tous les étages de la pyramide, des mères à peine majeures, une minute je crois rêver le nord que j'ai laissé derrière moi, mais la misère est partout la même au final. Je repars fissa, traverse la voie ferrée et là surprise, au fond d'une rue jaune, une haute fontaine. Piqué par la curiosité je m'y dirige et tombe sur la (relativement) « vieille » ville de Châteaudun. Ah, tout de même ! Voilà des façades et des commerces plus engageants ! Pas de temps pour les regrets ou dégueuler mon kebab en faveur d'un repas plus saillant, quelques coups de pédales m'éloignent d'ici quand tout à coup j'aperçois au loin... LE CHÂTEAU DE CHÂTEAUDUN ! Mazette, j'étais passé à côté de la principale attraction du pays (pas de traces des daims de Châteaudun en revanche...). Je laisse derrière moi le calme plat et le plat calme de cette partie de la Beauce pour rouler le long du Loir, sous-affluent de LA Loire, passe par de charmantes bourgades, observe d'un œil un château privé surplombant la vallée, puis coule d'agréables kilomètres de forêt jusqu'au bout de l'Eure-et-Loire. Là, je passe la frontière de la Sarthe pour me ravitailler dans la petite ville de Saint Calais car je devrai planter ma tente dans les parages pour la nuit. J'y fais une entrée fracassante et admire cette large banderole tendue entre les deux côtés de la rue principale « Fête du chausson aux pommes ». Elle se tient le premier weekend de septembre et je regrette de ne pouvoir y assister car j'en suis grand adepte, mais cette célébration m'intrigue tout de même alors je questionne le croquant, puis la boulangère qui m'apprend qu'outre une brocante et un chausson géant fabriqué pour l'occasion et béni par monsieur le curé, un concours du meilleur chausson aux pommes se tient dans la ville. Son mari a gagné le prix de l'année 2009. Elle me montre le certificat comme on présenterait le portrait d'un être cher, alors je me demande s'il n'a pas passé le chausson à gauche, lui aussi. Elle me dit aussi qu'avec la pandémie, on ne sait pas encore ce que cette année va être, et que certains collègues boulangers participants, pour ne pas les citer, ne les confectionnent même pas maison, que c'est du surgelé, je hausse les épaules et les yeux au ciel, penaud et résigné, car ainsi va notre époque madame... En revanche son chausson à elle était délicieux.



Samedi 28 août

Voilà tout juste plus d'un mois que j'ai quitté Lille. Si je ne l'ai pas dépassé, le premier millier de kilomètres est autour de moi.

Je renoue avec la route de Bessé-sur-Braye et finis par retomber sur le Loir que je longe jusqu'à un petit bric-à-brac à l'entrée de la ville de La-Chartre-sur-le-Loir. J'ai toujours eu la curiosité piquée par ces amoncellements de cartons pleins de conneries qui en cachent d'autres. C'est celle-là qui me faisait partir sur les routes avec un ami, sur nos biclous, dans les bleds de la région lilloise à la recherche d'objets aussi futiles qu'amusants que nous négociions à vil prix sans même se poser la question de leur utilité chez nous. Je m'aventure une fois de plus dans quelques pièces où les piles d'objets poussiéreux rivalisent à faire disparaître les murs derrière elles, soupèse quelques appareils argentiques insignifiants pour moi tout en questionnant la tenancière des lieux. Ici encore, j'y retrouve un être taciturne, comme beaucoup de brocanteurs semblent le devenir, face à ces curieux qui chercheraient à soustraire à leur trésor durement accumulé des pièces (qu'ils considèrent au même titre que chaque autre comme) maitresses. Ils répugneraient même à vendre, préférant garder indemnes leurs prises, leur collection intacte prenant le pas sur le simulacre de métier les animant, je laisse leurs affaires en ordre et repars.

La ville entière de La-Chartre-sur-le-Loir possède son lot d'autres brocanteurs et antiquaires installés dans son centre. J'y discute une minute avec un gitan y vendant ses paniers en osier, il voyage avec les siens dans des carrioles tirées par un cheval, je pense aux Gitans de Koudelka, croisé rue de la roquette plus tôt cette année (il refusera que je le prenne en photo préférant me souhaiter un « good luck with your photography » en m'en serrant cinq), je pense à un reportage sur eux, raté d'avance, à leur croyance répandue qu'une photographie capturerait leur âme, et je repars une fois de plus, la cité étant bien animée en ce samedi midi. J'ai quitté mon campement tard ayant beaucoup trop avancé la veille pour mon programme, et passant devant l'usine produisant les Rustines originales (qu'il me faut me procurer car mon matelas est toujours crevé), je poursuis ma route à travers le sud de la Sarthe. Ici, chaque maison est un lieu dit. Elle possède son nom propre plutôt qu'un numéro (par exemple, Les sardines, La porcherie, Le chien qui pète etc.). Mon allure est bonne, les jambes tournent, le vent me pousse presque quand j'atteins après manger la commune de Vaas, où je pose bagage pour deux jours. Là, j'y retrouve le chef du chantier du skatepark, rencontré deux semaines plus tôt. Installé là sur un petit terrain avec ses deux enfants et sa compagne, il y a construit sa maison et tout naturellement, un skatepark. Nous rejoignons ensemble son frère et des ami.e.s venus fêter le cinquième anniversaire de leur fils sur un terrain qui borde le Loir. Après quelques parties de molky et des hot-dogs, je fends la nuit sous la voûte céleste bien illuminée et m'endors au fond d'un bus qui trône au bout de son jardin.



Dimanche 29 août

Le lendemain midi nous réunit de nouveau pour un repas dominical. Le chat et les enfants animent la fête entre les plats. La chaleur est au rendez-vous quand, surpris par l'après-midi déjà bien avancée, nous nous dirigeons ensemble vers le skatepark. J'y photographie les enfants qui s'y frottent et quelques figures épiques. Les premiers départs s'organisent et nous finissons la soirée à jouer à la Super Nintendo. Je ressuscite de doux souvenirs de passages secrets dans le premier Mario Bros, des combinaisons techniques de Street Fighter II, avant d'écouter avec un doux plaisir la bande-son du premier Donkey Kong Country. Cette journée se termine sur une infusion de verveine en pensant qu'à dix heures demain, je serai une nouvelle fois parti.

WhatsApp Image 2021-09-07 at 18.18.01.jpeg

Lundi 30 août

Cinquante bornes me séparent du Mans. J'y ai rendez-vous après déjeuner avec un photographe de la ville qui s'apprête à la quitter définitivement. Je suis des bouts de départementales campagnardes, traverse les odeurs de bois, puis de fumier et de pourriture d'un renard jeté dans un fossé, avant de retrouver un grand tronçon vers Pontvallain qui remonte au nord, en même temps que des caravanes, camions et camping-cars pour se noyer dans la grande ville et ses vagues tristes de périphérique. Les concessionnaires se succèdent une nouvelle fois, comme un générique sempiternel du même mauvais film. Entrepôts fermés, revendeurs de pièces d'occasion et de pacotilles, parkings, garages, ici tout tourne autour de l'auto/moto/mobile puisqu'on approche d'un lieu culte de la mécanique mondiale : le circuit des 24h du Mans. Qu'à cela ne tienne, je pose mon dégoût le long de ces larges routes impraticables au cycliste, et finit par m'engouffrer en son centre après en avoir longé les vestiges de murailles qui bordent la vieille ville. Après un bref état des lieux, j'opte pour un repas rapide d'une cantine asiatique, retrouve ce copain photographe croisé plus d'un an avant en manif' à Paris, il est accompagné de sa jeune fille et nous taillons le bout de gras au pied de la cathédrale St Julien en la couvant du regard. Je mets les voiles vers le nord de la banlieue mancelle et atterris à St Saturnin chez le frère de mon père, qui lui aussi arrive peu après, de retour d'une semaine sur la face Atlantique. Nous descendrons tous ensemble une nouvelle fois en visite dans les ruelles bien conservées du quartier de la cathédrale, je m'éclipse espérant saisir un peu de l'essence du Mans via quelques photographies de rue, sans succès, nous rentrons partager un dîner, ouvrir quelques bouteilles de spiritueux héritées de mon grand-père, un Armagnac de 1964 fait ainsi parler de sa concentration éthylique et n'hésite pas à couper la chique aux buveurs en quête de surprises, comme un vieux un peu comique qui mentirait sur son âge. 



Mardi 31 août

Le Mans ne m'inspire pas, ou en tout cas, rien de bon. Mon père et sa femme viennent prendre le petit déjeuner avant de repartir en direction de Lille. Il s'apprête à me quitter une seconde fois, l'esprit toujours inquiet et intranquille, remontant ainsi toute la route que j'ai fait jusqu'ici. Je passe cette journée chez mon oncle et ma tante, entre une lecture évasive d'un album de Blake et Mortimer, un peu de repos et une tournée dépressive dans l'immense zone commerciale du nord de la ville. Un premier arrêt s'impose à la poste pour envoyer un colis, un second dans un supermarché qui se veut plus vert, local, éthique (du flan, on nous sert les mêmes fruits exotiques en quantité dans une foultitude de sacs plastiques), un dernier à l'hypermarché du sport à bas prix pour acheter un pack de rustines afin de tenter de réparer le matelas pneumatique, c'est tout, je ne puis en endurer plus. Je rentre lessivé par cette ambiance oppressante, avec l'envie folle de repartir. Je me calme en regardant les deux derniers épisodes de la série comique nippone entamée à Thomery puis leur prépare un plat typique qui me tiendra encore le lendemain au bide : un welsh. Je me couche, un peu malade, je pense aux deux jours que je me donne pour rallier Rennes (160km), y dénicher deux skateurs avec qui je n'ai jamais eu de contact, réaliser leur interview, des photographies et me tourner vers la Loire Atlantique. Je me couche et je pense à cette rustine sur le matelas, pourvu que ça tienne, car après de savants calculs, il me reste avant la fin du mois de septembre au moins autant de kilomètres à parcourir (1150) jusqu'à la frontière espingouine.

WhatsApp Image 2021-09-07 at 18.21.23.jpeg


APARTÉ À PROPOS DE LA NOSTALGIE VIDÉOLUDIQUE

C'est bête et je me sens ridicule d'y penser, alors l'écrire ? Mais je dois bien avouer que depuis que je suis parti j'ai eu beaucoup de réminiscences de jeux-vidéos. Parce que cela fait parti de ma culture et de mes souvenirs, que j'y ai passé beaucoup de bon temps et qu'ils m'ont aidé à enduré des périodes sombres de ma vie, oui les jeux-vidéos tiennent une place importante dans ma vie. Il n'est pas rare qu'en route je fredonne les musiques des Mario que j'ai connu sur Gameboy ou Super Nintendo. Pas rare non plus que je me revois jouer à Pokémon, même dans Pokémon, à l'intérieur du jeu, avec sa cartographie complète, dans telle ville, tel lieux et ses rencontres mémorables. Et puis dernièrement, Le Mans fût pour moi symboliquement un révélateur car c'est mes cousins qui principalement me transmettaient leur passion pour ce médium. J'y allais une semaine ou deux environ, un été par ci par là, et après avoir découvert le first person shooter gore Unreal Tournament ou encore un Fifa 98 surréaliste, je revenais avec une copie gravée pour l'ordinateur de mon père. Plus tard, toujours au même endroit, j'ai constaté qu'on avait même une chaîne du câble dédiée (Game One), et qu'on pouvait sortir au cinéma des films à partir des jeux auxquels nous jouions (Final Fantasy). Il y a eu chez eux aussi les jeux de course endiablés de Burnout, ou l'infiltration de Metal Gear Solid 2, ou sur ma Gameboy Advance les épopées de Zelda ou Golden Sun 1 et 2 ou celle de Final Fantasy Tactics, bref tout cela a posé les jalons de ma culture vidéo-ludique et de repenser à toutes ces aventures vécues, chéries, peut-être parce que maintenant j'en vis une, à ma propre échelle, cela me rend nostalgique.


* * *

APARTÉ À PROPOS DE LA FAMILLE

J'ai 29 ans et je pèse 61,7 kilos. C'est en tout cas ce que me dit la balance électronique d'une salle de bains étrangère. Parfois quand on écrit, on s'inspire de ce qu'on entend, lit ou vit et je me suis très rapidement rendu compte que c'est difficile en tant qu'écrivaillon de parler de sa famille.

Je pense que je n'ai jamais autant souffert de la présence de ma famille que depuis que j'écris. Est-ce parce que je me sens coupable à leur égard de raconter des choses qui me touchent auxquelles ils eurent pu prendre part ? Est-ce que c'est parce que je renâcle fortement à leur livrer mes créations et mes récits de peur de fausser leur image de moi ou corrompre la leur ? La posture de scribouillard est complexe et j'ai beau y réfléchir, je ne trouve pas comment trancher dans le cas de ce récit entre mon besoin de vérité et de transparence envers moi-même et la lecture par tous de ces lignes « sympathiques ».

La vérité c'est que je suis parti pour voir ma famille, la rencontrer.

La vérité c'est que je me questionne depuis longtemps sur les liens réels qui nous lient ou nous unissent.

La vérité c'est que le sang ne veut rien dire.

La vérité c'est que je me sens étouffé, pris, par leur présence alors qu'eux me reçoivent et m'aident dans mon périple.

La vérité c'est qu'où que j'aille, je sens que je dois déjà partir.

J'ai l'impression que je n'ai que ça en tête, avec la morale baudelairienne en fond sonore « n'importe où pourvu que ça soit en dehors de ce monde ». J'arrive au moment, à l'âge et au temps où la mort fait son trou dans nos vies. J'accepte la mort. Comme un cinquième élément avec lequel on doit composer et vivre. Je pense à la mort. C'est peut-être ça, la fin du voyage.

Précédent
Précédent

Le vide est mon nouveau prénom

Suivant
Suivant

Pas de tour assez haute pour ma mélancolie