L'histoire avance plus lentement que la maladie
Dimanche 1er août
Après un copieux petit déjeuner offert par la maraichère, je reprends la route un peu tardivement en direction de la baie de Somme. Je m'y fixe comme objectif de déjeuner à St Valéry quelques heures plus tard, dans une crêperie où, presque un an auparavant, mon meilleur ami de Barcelone et moi-même déjeunions avec contentement avant d'enchainer sur un mini-golf épique sous un soleil de plomb. La route est relativement simple et directe, le vent de côté pas trop gênant car il me permet de respecter le programme que je m'étais établi tel un bon pèlerin de retour en lieu saint. Passé Le Crotoy, une piste cyclable bien agréable permet donc de remonter rapidement jusqu'à l'autre côté de la baie de Somme qu'est St Valéry (entre eux deux il y a du sable, des marées qui viennent et se retirent, et des prés salés où on fait brouter du gentil agneau qu'on revend ensuite en mignon gigot AOC). Je marque l'arrêt, traine dans ses ruelles, et pourtant, encore une fois, je ne lui trouve pas tout le charme qu'on lui vante à cette petite ville de riches. Ma route me conduit toujours vers le sud et je débarque en Seine Maritime à Mers-Les-Bains (prononcez Mersse) puis Le Tréport, deux petites villes balnéaires se jouxtant, offrant leurs plages et leur lot d'attractions locales pour touristes. D'un côté à Mers, il y a une jolie plage de galets avec une façade qui rappelle un peu celle du Touquet ou de Malo (une masse de resto, vendeurs ambulants et glaciers sur la promenade) avec de très jolies ruelles et des architectures typiques, recherchées MAIS une musique de fond diffusée par des haut-parleurs. Au Tréport, on enlève tout ça pour un aspect plus brut avec comme unique bande sonore les cris des mouettes et de la circulation qui se fraye un passage jusqu'au phare ou la falaise. Ici quelques pêcheurs à pieds, là un peu de monde attendant un téléphérique (gratuit, testé et approuvé!) pour admirer la vue de la « terrasse » dominant falaises et villes ou prendre la tangente et dormir sous un vénérable arbre dans un pré à quelques villages de là par une nuit clémente.
Lundi 2 août
L'endroit choisi pour camper la veille au soir s'est avéré être un meilleur choix que le premier. À 22h un sursaut m'a fait tout remballer et redéployer mon campement plus proche du village et à l'abri de lourdes branches après avoir vu au large, du sommet de falaise où j'étais installé, de gros blocs nuageux pas bien rassurants. Je pensais pouvoir assumer de faire le cake en campant face à la mer et puis une heure plus tard, après un colloque et un débat intérieurs, mon jury a délibéré et j'ai tout simplement rebroussé chemin. Je repars sur les routes au matin, sous la flotte. Rapidement les pieds sont trempés et je le sais, ils le resteront jusque la fin de journée. Je m'attèle cependant à trouver une solution pour coucher au sec, ou au moins pouvoir faire sécher mes affaires et après déjeuner la situation semble résolue. Jusque là, je passe par Dieppe (circulez y'a rien à voir) et continue mon chemin tout d'abord dans la roue de deux cyclistes en route jusque Etretat (ce qui était à peu près mon cas jusqu'à ce je tombe sur une boulangerie), puis avec un autre, vététiste originaire de Macon, bien en forme et avec qui j'ai roulé plusieurs dizaines de kilomètres à bon rythme (jusqu'à un restaurant cette fois, à Veulettes sur Mer). Fait trop important pour être passé sous silence, c'est dans ces bourgades côtières que j'ai remarqué quelque chose de très étonnant : des centaines de minuscules araignées volent ainsi que des gouttes d'eau, se laissent porter avec leur fil par le vent. Pendant deux dizaines de kilomètres au moins, il n'était pas rare d'en voir parader dans les rafales espérant mettre le grappin sur quelque passant ou cycliste hagard, les locaux n'y prêtant visiblement absolument aucune attention, les balayant du revers de la main.
Par la route de la côte, que je me suis occupé de suivre au maximum, la départementale monte et sans cesse redescend entre chaque village, créant dans la soixantaine de kilomètres qui nous séparait de Dieppe à Fécamp quelques petites difficultés. Heureusement, la beauté des villages traversés, où ne semble pousser que roses trémières et hortensias géants, leur richesse et opulence, toit de chaume, colombages, parfois les deux, feront de cette route le paysage agréable d'un exercice stimulant au cycliste encore en recherche de repères physiques. En fin de journée je descends sur Fécamp, port important par le passé mais dorénavant un peu mort, je dépasse un rade à la devanture très seventies « TOUT VA BIEN » avec pour unique cliente sa patronne, pour pousser ma carcasse un peu plus loin, à quelques clochers, voilà Yport et ses façades faites de silex brisés. L'ex village de petits pêcheurs est charmant, j'y retrouve mes hôtes pour la soirée (grand-parents d'une amie qui m'est venue en aide et qui m'accueillirent comme un prince en exil) et profite des dernières lumières du jour pour visiter les lieux, goûter à une crêpe sucre et beurre (doux!), et tremper mes lèvres dans le cocktail local : la Bénédictine (liqueur herbacée) façon Kir Fécampois (avec du cidre bouché).
Mardi 3 août
Départ des hauteurs d'Yport et rebelote pour le cycliste qui souhaite profiter de la ballade du bord de mer : il lui faudra monter la falaise, puis redescendre vers la plage où se niche le petit bled coquet, avant de remonter le flanc de falaise etc. Les pentes sont raides, les montées de plusieurs kilomètres fastidieuses, elles constituent de premières difficultés pour le grimpeur en mousse que je suis. À une poignée de lieues d'Étretat, c'est une averse qui me fait me réfugier au fond d'une grange avant d'entreprendre ma descente sur le fameux monument géologique. L'afflux de touriste y est considérable, sidérant. On m'expliquera plus tard qu'une certaine nouvelle série sur Arsène Lupin (RIP) lui vaudra ce regain d'attention, toujours est-il que les parkings en dehors de la ville sont bondés, le flot de badauds intarissable, et tous convergent vers la plage et les échoppes autour, grimpent d'un côté ou l'autre (église au sommet à droite ou la fameuse « porte » à gauche) faisant ainsi de cette minuscule ville une sorte de parc d'attraction où il fait bon d'avoir été. Je reste quelques minutes le temps de m'imprégner de cette ambiance nauséabonde puis reprend ma route, coupe à travers le pays (toujours aussi vallonné) et après un arrêt dans une petite brasserie plaisir, me dirige vers Tancarville et son fameux pont, inaccessible pour nous cyclistes. En revanche, c'est ici la porte d'entrée d'un itinéraire peu emprunté vers un autre pont, bien plus fameux, celui de Normandie se dressant fièrement au loin, qui s'ouvre à nous à travers une réserve naturelle seulement réservée aux cyclistes, randonneurs, véhicules autorisés et... chasseurs ? Bon... après une petite vingtaine de kilomètres complètement à découvert, vent de face, moral au fond des godasses à me démener comme un beau diable sur mes pédales, l'ascension du pont ou de ses trois étages d'escalier pour y accéder (ascenseur en panne, avec un vélo de plus de vingt kilos, ça fait pas sourire) ne posent pas vraiment de problème et très vite on rattrape la route en direction du centre ville d'Honfleur. Là encore, si vous cherchez de la photo, de l'analyse fine, comme plus tard à Deauville ou Trouville, je suis resté cinq minutes sur place, hébété devant le nombre de touristes en circulation dans ce fond de pandémie, avant de reprendre fissa ma route. La ville peut être belle, mais je ne suis pas prêt à tous les sacrifices. Ma journée se terminera dans une supérette bio et quelques kilomètres plus loin, incapable d'avancer plus, rompu de fatigue, posant pied à terre dans une côte jugée trop sévère pour mon comptant et ma journée, j'installe la tente au fond d'une allée pierreuse entre une baraque cossue rendant hommage aux Ducs de Normandie et une autre abandonnée, dont on se demande ce qu'attendent les promoteurs pour la transformer en villa avec chambres à louer.
Mercredi 4 août
Je sens la fatigue s'accumuler dans mes jambes dès les premiers tours de roue, comme si un p'tit malin avait lesté pendant la nuit mes pieds avec des poids et pourtant, cette journée aura encore son lot de petites côtes bien salées. Je reprends donc la route de la mer, dépassant Deauville, ça monte, ça redescend, ça remonte, puis ça redevient plus plat heureusement avant Cabourg, je franchis l'Orne à Bénouville, où commence à se multiplier un autre fond de commerce touristique de la région, celui du Débarquement (on arrive à ses plages) et de la Seconde Guerre, et enfin j'atteins Saint Aubin sur Mer, ma destination, où se tenait un festival de photo argentique, pour sa première édition, dédié à La Russie à travers quatre photographes (deux russes – dont un que j'apprécie beaucoup, ce qui m'avait alerté sur l'existence de cet événement et motivé à y aller en somme – et deux français). Comme les lieux d'exposition n'ouvraient qu'à 15 heures, j'ai profité de la pause déjeuner pour me restaurer (piteusement) et me poser sur le bord de mer (pas dans le sable ni dans l'eau, car je déteste ça). En fait de festival, la petite ville du Calvados n'offrait à voir que deux expositions d'une vingtaine de photographies. Le résultat était un peu chiche, malgré la qualité des tirages argentiques, mais j'étais tout de même content d'avoir réalisé cette première partie du voyage avant d'entamer un retour dans les terres vers la capitale parisienne. Mon prochain point de passage étant dans la banlieue rouennaise, chez ma cousine, je coupe à travers le pays et finis par me retrouver en pleine « pampa » sur les coups de 18 heures. Aïe, mon ventre s'inquiète et pense : acheter, manger, supermarché. Même si je vois plein d'endroits sympas où me pieuter sous la toile de tente, nul part où se restaurer dans les petites bourgades campagnardes que je traverse. Après un détour d'une bonne dizaine de kilomètres jusque Dozulé, un cadis trainé dans les allées d'un hypermarché, je reprends ma route le long d'une ultime côte de Saint Jouen, qui aura une nouvelle fois raison de moi, je déraille, finis à pied avant de tomber sur l'entrée de la propriété d'un photographe dont le nom me rappelle vaguement quelque chose. Les mains pleines de graisse, je franchis le pas et descends son allée, le trouve en train de jouer à la console avec sa fille, lui demande si je peux éventuellement me laver les mimines et l'interroge – conformément au portrait qu'un autre photographe de Lille ayant suivi un stage chez lui m'en avait fait. Le courant passe si bien qu'il m'invite à rester dîner et planter la tante dans le jardin, à l'abri de ses grands arbres. Pendant le repas, nous évoquons la situation normande, la crise du covid naturellement, le dépeuplement des villes hors saison, la misère qui les habite en fait toute l'année (Honfleur, Trouville), la venue de ces nouveaux bourgeois sur cette côte si accessible depuis Paris et la quantité de logements en construction, en rénovation, de résidences à louer, gites et chambres d'hôte sur la route que j'avais dépassé plus tôt dans la journée n'ayant pas fini de me plonger dans une profonde perplexité quant aux différents leviers sociaux-économiques choisis et préférés dans cette partie du pays. Je m'endors au doux roulis des vagues qu'imitent les futaies.
Jeudi 5 août
Je pense à écrire une nouvelle.
Elle s'appellera « VOUS ÊTES TOUS DES CLÔNES, HEUREUSEMENT MOI AUSSI » et traitera du vide, de l'usurpation, de l'imposteur. J'y pense depuis quelques semaines, au fond de moi-même, et j'aimerais y déployer un univers de SF. Je m'interroge sur ses fondements encore alors que je pédale, que ça tire, et que ma machine, mon corps, fatigue et me le fais bien sentir. Je dois arriver chez ma cousine en fin d'après-midi, ce sera fait pour 16 heures. Je mange dans un petit restaurant d'un village paisible tenu par un vieux couple. Je pense à me reposer. Prendre le temps d'écrire. Mais je dois rejoindre Paris, d'autant plus vite que (oui j'ai omis de le signaler) un jour avant mon appareil photo est tombé de ma sacoche et a pris un vilain pet sur le levier de rembobinage. Mon réparateur préféré est prévenu et je suis dans les starting blocks pour ne pas rester trop longtemps handicapé ou séparé de ce compagnon chéri et aimé. Je me maudis, m'énerve, m'insulte, je suis fatigué. Un petit calva sur le repas. Comme la veille, en fin de journée, j'ai l'impression de trainer cinquante kilos, d'être lourd et de ne pas avancer. Il est temps que je change un petit peu d'air. Paris dans deux jours.
Vendredi 6 août
Après un petit déjeuner succinct en compagnie de ma cousine, nous nous dirigeons ensemble (et en voiture) vers le centre de Rouen, à vingt kilomètres de chez elle. La ballade commence pour nous au pied de la cathédrale dont le portail est un ouvrage sculpté avec une finesse remarquable. La ville, malgré son peu de vie et de passage un vendredi matin, me fait bonne impression. L'architecture et les façades de la plupart des baraques du centre gardent ce charme précieux d'antan, maisons à colombages de couleurs différentes, penchant comme les têtes de grands arbres et recouvrant le chemin qui se fait d'un coup plus sinueux, entre deux ruelles et une placette secrète. Plus à terre, les enseignes et les grandes marques se succèdent ainsi que dans chacune de nos grandes villes, difficile d'être dépaysé. Ma mésaventure photographique de l'avant-veille me poursuit puisqu'après l'appareil argentique, c'est le numérique qui refuse ce jour de prendre la moindre photo. Je rends les armes, fou de rage et de frustration, et après une pizza infâme (il faut le dire quand elles le sont) et un peu de pluie, nous regagnons St Aubin d'où je m'élance un peu avant 15 heures sous une éclaircie. Mon objectif du jour est simple : avancer le plus possible en direction de la capitale afin de réparer rapidement le Leica, l'autre n'a malheureusement pas grande chance de s'en tirer.
La route que j'emprunte me réserve encore de belles montées comme à Les Andelys par exemple, juste avant Château Gaillard, je m'accroche, je peste, je grimpe à bout de souffle et de force. Je mets bien plus de temps au sommet de ces cols en carton à regagner un peu de jus, de vélocité. Dans un virage, je manque et frôle à une vingtaine de centimètres l'accident avec une voiture déboulant en face. Je me sens absent, dépossédé. Je ne pense qu'à me reposer et écrire, boire quelques verres de gin. Oh, un peu de gin...
La fin d'après-midi me fait passer dans le Val d'Oise et j'entre donc dans cette région infâme qu'est l'Île-de-France. Pourtant les paysages vallonnées ne sont pas vilains, bien au contraire, entre deux champs moissonnés, sous ce ciel bleu et pourtant peuplé de hauts nuages, je me sens un peu chez moi, le beau temps en prime. Un ultime arrêt dans un supermarché discount d'un avant-poste nommée Magny-en-Vexin me pousse jusqu'à me perdre entre deux villages et deux départementales dans le hameau d'Enfer, presque à la frontière des Yvelines. Je me laisse tenter, plante la tente au fond d'une allée verte, et me réserve le droit d'imaginer ce que ce pourrait bien être, Une nuit à Enfer.
Samedi 7 août
Le chant des gallinacés résonne à 4 heures 50 minutes. Au soir, c'est une sorte d'affrontement qui a ponctué l'endormissement du village, entre molosses, chats possédés et bêtes non identifiées. Deux coqs se répondent toutes les heures. Un vieil enroué et un autre, plus pimpant, dans lequel je n'arrive à déceler le cocorico national. Je me lève, démonte le campement, le fais sécher, et constate qu'encore une fois il n'a pas plu dans la nuit, une chance. Après un petit déjeuner sur le pouce, quelques gouttes finissent par tomber, je prends la route et l'averse éclate tout à fait. Les pieds sont rapidement humides tandis que je franchis les derniers reliefs du Vexin avant d'entrer dans les Yvelines qui remplacent les forêts touffues par des départementales peuplées de logements gris, concessionnaires et autres restaurants fantomatiques tandis que la pluie gicle de plus belle. Je trace ma route. Les gouttes froides coulent et massent les muscles de mes cuisses endolories, je retrouve mes jambes qui tournent malgré la fatigue. Après des kilomètres à travers le gris et les trombes, j'arrive sur Poissy, le centre chic de St Germain-en-Laye, une descente rapide de Le Pecq mène à Chatou, avant la terre connue de Nanterre et le labyrinthe de La Défense que je traversais durant mes années de coursier. Je sors à Neuilly où je retrouve police et un rassemblement de gilets jaunes contre le pass sanitaire, monte l'avenue de la Grande Armée, descends les Champs et me dirige dans le 12ème, de l'autre côté de la ville, pour un arrêt chez mon vélociste préféré. Là, un petit réglage du destrier s'impose. Après cet arrêt et un repas pour moi traditionnel, à base de nouilles de blé faites main, c'est à Créteil que je m'arrête, chez mon réparateur Leica attitré. Une rapide et minutieuse opération plus tard, l'appareil est de nouveau fonctionnel, le numérique, quant à lui, n'aura sans doute pas le même destin, c'est d'ailleurs le propre de cette génération nouvelle. Je retourne sur Paris, j'assiste à la fin de la manifestation contre le pass sanitaire qui ressemble à une répétition militaire de maintien des foules dociles. Je reste sur mon vélo et suis de loin les opérations des gendarmes, perplexe, puis repars dans le 18ème, chez mon meilleur ami de Paris où je logerai pour la nuit. C’est sa mère qui, de passage pour garder le chat, m’accueille et un diner plus tard, je mets bout à bout ces quelques lettres en me demandant de quoi demain sera fait. Je sais tout au moins qu'il n'y aura ici pas de chant de gallinacé.
APARTÉ À PROPOS DU TITRE
J'aime beaucoup les titres.
J'aime tellement les titres que c'est eux qui dictent la plupart de mes écrits. Je ne commence pas une nouvelle sans titre par exemple. Le titre va contenir l'essence de ce que la nouvelle distillera en son sein. Ils peuvent être des choses lues, entendues, imaginées, des détournements. D'ailleurs j'en ai quelques uns en stock, notés à un endroit. Pour plus tard, me dis-je, en cas de pénurie.
Celui-ci (L'histoire avance plus lentement que la maladie), je le dois, je crois, au grand-père de cette copine qui m'a accueilli près d'Yport. Il est atteint de la maladie de Parkinson, qui gagne sur lui et sa mobilité, son autonomie, du terrain chaque jour. En parlant de ses difficultés, une proche tendait à le rassurer : « les recherches avancent vite pour ce genre de maladie qui touchent beaucoup de gens, on découvrira sans doute de nouveaux traitements rapidement », et là je ne suis plus sûr de mon esprit, aurait-il imaginé cette réponse ou entendu ce vieil homme la dire, mais j'avais en me couchant en tête ce titre.
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APARTÉ À PROPOS DU VÉLO ET DU TOURISME
Voyager à vélo a de bons et de mauvais côtés. Naturellement, il y a la dimension sportive, d'effort, on arrive à un endroit grâce à notre énergie, persévérance et à nos deux machines couplées. Vient aussi maintenant le facteur écologique de ce moyen de locomotion, on est autonome, indépendant, mais on peut aussi à quelques moments s'embarquer dans un train, un bus ou un ferry, complémentaire à notre trajet, et cela reste très économique pour qui sait le rester.
De mauvais côtés, on peut citer la vulnérabilité dont j'ai précédemment parlé, aux intempéries, aux autres usagers de la route, aux ennuis mécaniques (même s'ils restent relativement simples à appréhender). Notre allure est déterminé par notre puissance, notre forme, et parfois les voyages d'une journée peuvent rapidement devenir un petit brin d'enfer pour peu que quelques éléments croisent ou vous barrent la route.
Pour un bien, il faut voyager léger. Aller à l'essentiel semble être une grande maxime forgée pour le vélo, et plus encore pour celui qui veut voyager avec. Chaque gramme compte. Chaque poids à porter sera une pierre de plus à rouler en haut d'un sommet. Il faut rationner et se rationaliser.
Néanmoins, c'est une forme de tourisme encore marginale que de voyager à vélo. De toute cette première partie de route, de Lille jusque Paris, en passant par la baie de Somme ou la Normandie, rares ont été les cyclotouristes croisés en chemin (une douzaine, tout au plus). On ne les croise généralement que sur des routes peu fréquentées, en duo, fuyant les automobiles et les poids lourds, leur préférant par delà la cambrousse les petits chemins de traverse. J'ai roulé sur toutes ces routes, des nationales aux petits chemins aventureux, le plus souvent sur de la départementale. Je dressais mes itinéraires journaliers d'après une carte papier richement détaillée, ne m'aidant du GPS intégré à mon téléphone qu'en dernier recours ou pour trouver des supermarchés et restaurants ouverts aux alentours. J'ai décidé de ne pas embarquer de compteur/GPS dédié comme cela se fait usuellement, pour ne pas avoir l'œil rivé sur des chiffres défilant constamment, pour me détacher un peu de la technologie qui nous entoure et nous cajole, pour ne pas avoir aussi à me pavaner d'avoir réaliser tant de kilomètres par jour, ni à quelle vitesse. Avec l'effort, viennent vite les questions d'égo.
Même si elle est un peu moins marginale que celle de voyager à pieds par exemple, la pratique du cyclotourisme confère à son auteur un statut quelque peu singulier. Car c'est son effort personnel qui va le propulser d'un lieu à l'autre, sa vitesse relativement lente va lui permettre de profiter de presque chaque once du territoire parcouru. Il s'en imprégnera. Il acquerra par sa position actrice et active dans son déplacement une connaissance de la carte, du terrain environnant et du site visité, tout en se mêlant à une foule qui pour la plupart n'aura que subi, acheté ou vu défiler la frise du trajet à vitesse grand V sous ses yeux, sans ressentir ses reliefs ou sentir ses odeurs. Plus loin encore, l'encombrement même du vélo, son exposition aux mains voleuses ou celles de ses sacoches, rarement sécurisées, font que son propriétaire est toujours responsable et jamais loin de son fardeau. Posée devant une terrasse, on reconnaît rapidement la tenue sportive détonnant des frusques chamarrées estivales, séchant au soleil tandis que le destrier repose et que le pilote souffle quelques minutes bien méritées. Cet encombrement pousse à une logistique singulière. Le cycliste n'a pas accès aux mêmes lieux ou du moins avec la même facilité que le piéton, l'automobiliste, car peu de choses sont pensées ou designées pour lui et sa pratique (pas de parking temporaire sécurisé sur les lieux culturels ou de points pour se changer après quelques heures de roulage). Il vit donc la plupart du temps à la merci d'une confiance ou d'un risque, qui est le grand paradigme de ce monde finalement.
Le dernier point que je souhaiterais aborder ici concernant le tourisme, c'est sa répétition. Descendant plus au sud toujours, les villes côtières se sont succédées, proposant toujours un même schéma. Les mêmes façades maritimes proposent les mêmes fêtes foraines, plus ou moins en retrait de la plage ; son lot de restaurants où le fruit de mer et la « pêche du jour » surfent sur la bonne vague locale, tandis que d'autres jouent la carte de l'exotisme en proposant burgers, pizza, kebabs et crêperies plus ou moins réussis de la première plage du Nord à sans doute la dernière avant l'Espagne ; son cirque ambulant, ses vendeurs de chouchou, glaces et barbe à papa, boutiques souvenirs de pas grand chose, galeries d'artistes locaux rasants, bouibouis ou autre échoppe se contentant de vendre des chinoiseries de fil pour des bracelets du fleuron de l'artisanat sévissant en ces lieux. Mais si le schéma des structures ne change pas tant, il me faut bien remarquer que les publics eux, ne sont pas tous du même ordre. On croit déceler une certaine aisance financière aux marchés de Deauville et Trouville, de même qu'en citant celui du Touquet, j'entendis certains vendeurs se targuer de marger plus pour saigner les touristes de passage. Le public de St Valéry et d'Honfleur est à mi-chemin de ces nantis, il visite en roucoulant devant la beauté du lieu et déchante vite devant la note du restaurant qu'il s'est choisi dans ce décor sympathique. Enfin, Mers-les-Bains, Fécamp, Dieppe ou encore Le Tréport, sont encore de ces destinations accessibles aux porte-monnaies même les plus modestes, souhaitant eux-aussi s'offrir leur petit séjour en station balnéaire. Ils profitaient d'un décor semblable, d'une même eau fraiche et des mêmes attractions que d'autres, mais au retour des vacances, préféreraient taire devant les collègues et le jeune patron, le nom exact de leur destination. Qui sait s'ils n'étaient pas à quelques kilomètres les uns des autres. Quant à moi, je poussais mes roues toujours ailleurs.